CICERON, PRO LEGE MANILIA, CHAP. XIV
CICERON, PRO LEGE MANILIA, CHAP. XIV
XIV. Age uero: ceteris in rebus quali sit temperantia considerate. Unde illam tantam celeritatem et tam incredibilem cursum inuentum putatis? Non enim illum eximia uis remigum aut ars inaudita quaedam gubernandi aut uenti aliqui noui tam celeriter in ultimas terras pertulerunt; sed eae res quae ceteros remorari solent, non retardarunt: non auaritia ab instituto cursu ad praedam aliquam deuocauit, non libido ad uoluptatem, non amoenitas ad delectationem, non nobilitas urbis ad cognitionem, non denique labor ipse ad quietem; postremo signa et tabulas ceteraque ornamenta Graecorum oppidorum, quae ceteri tellenda esse arbitrantur, ea sibi ille ne uisenda quidem existimauit. Itaque omnes nunc in eis locis Cn- Pompeium sicut aliquem non ex hac urbe missum, sed de caelo delapsum intuentur. Nunc denique incipiunt credere fuisse homines Romanos hac quondam continentia, quod iam nationibus exteris incredibile ac falso memoriae proditum uidebatur. Nunc imperi uestri splendor illis gentibus lucem adferre coepit. Nunc intellegunt non sine causa maiores suos, tum cum ea temperantia magistratus habebamus, seruire populo Romano quam imperare aliis maluisse. iam uero ita faciles aditus ad eum priuatorum, ita liberae querimonia de aliorum iniuriis esse dicuntur, ut is, qui dignitate principibus excellit, facilitate infimis par esse uideatur. Iam quantum consilio, quantum dicendi grauitate et copia ualeat, - in quo ipso inest quaedam dignitas imperatoria, - uos, Quirites, hoc ipso ex loco saepe cognouistis. Fidem uero eius quantam inter socios existimari putatis, quam hostes omnes omnium generum sanctissimam iudicarint? Humanitate iam tanta est, ut difficile dictu sit utrum hostes magis uirtutem eius pugnantes timuerint, an mansuetudinem uicti dilexerint. Et quisquam dubitabit quin huic hoc tantum bellum transmittendum sit, qui ad omnia nostrae memoriae bella conficienda diuino quodam consilio natus esse uideatur? |
XIV. Et voyez encore quelle est, en toute autre circonstance, la modération de Pompée. D'où vient, à votre avis, cette prodigieuse célérité, cette incroyable rapidité de mouvements ? Ce n'est point à l'aide de rameurs plus vigoureux, de manoeuvres jusqu'ici inconnues, ou de vents nouveaux, qu'il est arrivé si vite aux extrémités de la terre ; mais les motifs qui d'ordinaire retardent les autres généraux ne l'ont pas arrêté : il n'a point été détourné de sa route par la cupidité, pour aller s'emparer de quelque riche butin ; par la débauche, pour satisfaire sa passion ; par le charme des lieux, pour se procurer une distraction ; par la renommée de quelque ville, pour contenter sa curiosité ; enfin, par la fatigue même, pour prendre du repos. Ces statues, ces tableaux, toutes ces merveilles dont les villes grecques sont ornées, et que les autres croient devoir enlever, il n'a pas même cru devoir les visiter. Aussi maintenant dans tous ces pays regarde-t-on Cn. Pompée non comme un envoyé de Rome, mais comme un être descendu du ciel ; on commence enfin à croire qu'il a existé autrefois des Romains de cette modération, ce que les peuples étrangers ne pouvaient plus admettre et regardaient comme une tradition mensongère. L'éclat de votre empire brille à présent aux yeux de ces peuples ; ils comprennent que leurs ancêtres, au temps où nous avions des magistrats si modérés, aient mieux aimé obéir au peuple romain que de commander aux autres peuples. D'un autre côté les simples particuliers le trouvent si abordable, il leur donne une telle liberté d'exposer leurs plaintes contre les injustices dont ils sont l'objet, qu'il semble, lui qui par son rang est au-dessus des plus grands, se mettre par son affabilité au niveau des plus petits. Quant à sa prudence, à son éloquence, à l'autorité de sa parole, qualités qui rehaussent la dignité du général, vous en avez jugé vous-mêmes, Romains, à cette tribune. Quelle opinion n'a-t-on pas de sa bonne foi parmi les alliés, quand les ennemis de toutes les nations l'ont regardée comme sacrée ? Son humanité est telle qu'il serait difficile du dire si l'ennemi craint plus son courage pendant la lutte qu'il ne chérit sa clémence après la défaite. Et vous hésiteriez à confier le soin de cette guerre importante à un homme qui semble né, par un bienfait de la divinité, pour achever toutes les guerres de notre temps ? |
XIV. Age vero, | XIV. Mais allons, |
considerate | considérez |
qualis sit temperantia | quelle est sa modération |
in ceteris rebus. | dans les autres choses. |
Unde putatis | D'où pensez-vous |
illam celeritatem tantam | cette rapidité si-grande |
et cursum | et cette course |
tam incredibilem | si incroyable |
inventum? | avoir été trouvées (résulter)? |
Non enim vis eximia | Car non pas une force extraordinaire |
remigum, | de rameurs, |
aut quidam ars inaudita | ni un certain art inconnu |
gubernandi, | de gouverner un vaisseau, |
aut aliqui venti novi | ou quelques vents nouveaux |
pertulerunt illum | ont transporté lui |
tam celeriter | si rapidement |
in terras ultimas; | dans les terres les plus lointaines ; |
sed hae res, | mais ces choses, |
quae solent | qui ont-coutume |
remorari ceteros, | de retarder les autres, |
non retardarunt : | ne l'ont pas arrêté : |
avaritia non devocavit | la cupidité ne l'a pas détourné |
a cursu instituto | d'une route entreprise |
ad aliquam praedam, | pour quelque butin, |
non libido ad voluptatem, | ni la passion pour quelque plaisir, |
non amoenitas | ni le charme des lieux |
ad delectationem, | pour quelque distraction, |
non nobilitas urbis | ni la célébrité d'une ville |
ad cognitionem, | pour la connaissance (pour la connaître), |
denique non labor ipse | enfin ni la fatigue même |
ad quietem. | pour le repos. |
Postremo ille | Enfin celui-ci |
ne existimavit quidem | n'a pas même pensé |
ea visenda esse sibi, | ces objets devoir être vus par lui, |
quae ceteri arbitrantur | que les autres pensent |
tollenda esse | devoir être enlevés par eux, |
signa et tabulas, | les statues et les tableaux, |
ceteraque ornementa | et les autres ornements |
oppidorum Graecorum. | des villes grecques. |
Itaque omnes quidem nunc | Aussi tous certes maintenant |
in his locis | dans ces lieux |
intuentur Cn. Pompeium | regardent Cn. Pompée |
sicut aliquem | comme quelqu'un |
non missum ex hac urbe, | non envoyé de cette ville, |
sed delapsum de caelo : | mais tombé du ciel: |
nunc denique | maintenant enfin |
incipiunt credere | ils commencent à croire |
homines Romanos | des hommes romains |
hac abstinentia | de cette intégrité |
fuisse quodam ; | avoir été autrefois; |
quod videbatur jam | ce qui paraissait déjà |
incredibile | incroyable |
nationibus exteris | aux nations étrangères |
ac proditum falso | et transmis faussement |
memoriae. | à la mémoire. |
Nunc splendor | Maintenant l'éclat |
vestri imperii | de votre empire |
lucet illis gentibus ; | luit pour ces nations ; |
nunc intelligunt | maintenant elles comprennent |
suos majores | leurs ancêtres |
maluisse non sine causa | avoir mieux-aimé non sans raison |
servire populo Romano, | obéir au peuple romain, |
quam imperare aliis, | que commander aux autres, |
tum quum habebamus | alors que nous avions |
magistratus | des magistrats |
hac temperantia. | de cette modération. |
Jam vero | Mais d'un-autre côté |
aditus privatorum | les accès des simples-particuliers |
ad eum | vers lui |
dicuntur ita faciles, | sont dits être si faciles, |
querimoniae | les plaintes |
de injuriis aliorum | touchant les injustices des autres |
ita liberae, | sont dites être si libres, |
ut is, | que celui-ci, |
qui excellit principibus | qui l'emporte sur les premiers |
dignitate, | par la dignité, |
videatur esse par infimis | semble être égal aux derniers |
facilitate. | par l'affabilité. |
Jam vos, Quirites, | De plus vous, Romains, |
cognostis saepe | vous avez reconnu souvent |
in hoc loco ipso | dans ce lieu même |
quantum valeat consilio, | combien il peut par la prudence, |
quantum gravitate | combien par l'autorité |
et copia dicendi, | et l'abondance de parler (de sa parole), |
in quo ipso | ce en quoi même |
inest quaedam dignitas | il y a une certaine dignité |
imperatoria. | de-général. |
Quantam vero putatis | Puis combien-grande pensez-vous |
fidem ejus existimari, | la bonne-foi de lui être crue, |
quam hostes | elle que les ennemi; |
omnium gentium | de tous les peuples, |
judicarint sanctissimam ? | ont jugée très-sacrée? |
Jam est humanitate tanta | D'ailleurs il est d'une humanité telle |
ut sit difficile dictu | qu'il est difficile à être dit (de dire) |
utrum hostes | si les ennemis |
timuerint magis | ont craint davantage |
virtutem ejus | la valeur de lui |
pugnantes, | en combattant, |
an dilexerint mansuetudinem | ou ont aimé davantage sa douceur |
victi. | étant vaincus. |
Et quisquam dubitabit | Et quelqu'un doutera |
quin tantum bellum | qu'une si-grande guerre |
transmittendum sit huic, | ne doive être reportée à celui-ci, |
qui videatur natus esse | qui semble être né |
quodam consilio divino | par une certaine volonté divine |
ad conficienda | pour achever |
omnia bella | toutes les guerres |
nostrae memoriae? | de notre mémoire (temps)? |