HORACE, ART POETIQUE, VERS 79 à 96
HORACE, ART POETIQUE, VERS 79 à 96
Archilochum proprio rabies armavit iambo : |
La vengeance arma le fongueux Archiloque de son iambe redoutable ; puis le brodequin et le cothurne majestueux adoptèrent l'iambique, si bien fait pour le dialogue : car il domine les bruits de l'amphithéâtre; il est né pour l'action. L'ode inspirée chante sur la lyre les Dieux, et les héros fils des Dieux, et l'athlète couronné, et le coursier vainqueur dans la carrière, et les tourments de l'amour, et la libre gaieté des festins. Mais, si je n'ai pas le talent d'assortir à chaque genre le rythme et le ton qui lui conviennent, pourquoi me saluerait-on poète ? pourquoi mon amour-propre insensé préfère-t-il l'ignorance à l'étude ? Un sujet comique ne veut pas du style de la tragédie ; et de même je me révolterai, si l'on vient, en vers familiers, dignes tout au plus du brodequin. me conter l'horrible festin de Thyeste. Chaque genre doit garder la place que lui a si bien marquée la nature. Quelquefois pourtant la comédie même élève le ton : voyez comme la colère inspire à Chrémès des accents pathétiques. Souvent aussi la tragédie exprime avec simplicité ses douleurs : ainsi, Télèphe et Pelée, pauvres et bannis |
Rabies | La rage (la soif de la vengeance) |
armavit Archilochum | arma Archiloque |
iambo proprio : | de l'ïambe qui lui est propre : |
socci | les brodequins (la comédie) |
cothurnique grandes | et les cothurnes majestueux (la tragédie) |
cepere hunc pedem, | prirent (adoptèrent ) ce pied, |
aptum sermonibus alternis, | propre aux discours dialogues, |
et vincentem | et dominant |
strepitus populares, | les tumultes populaires, |
et natum rebus agendis. | et né pour les choses à faire(pour l'action). |
Musa dedit fidibus | La Muse a donné aux lyres |
referre Divos, | de rappeler (de chanter) les Dieux, |
puerosque Deorum, | et les enfants des Dieux, |
et pugilem victorem, | et l'athlète-en-pugilat vainqueur, |
et equum primum | et le cheval premier (victorieux) |
certamine, | dans le combat de la course, |
et curas juvenum , | et les soucis des jeunes-gens, |
et vina libera. | et les vins libres (qui rendent libre). |
Cur ego | Mais, pourquoi moi |
salutor poeta, | suis-je (serais-je) salué poète, |
si nequeo ignoroque | si je-ne-puis et ne-sais-pas |
servare vices descriptas | observer les caractères marqués |
coloresque | et les tons distincts |
operum ? | des ouvrages (des genres différents) ? |
Cur, | Pourquoi, |
pudens prave, | ayant-une-honte mauvaise, |
malo nescire | aimé-je mieux ne-pas-savoir |
quam discere? | que d'apprendre? |
Res comica | Un sujet comique |
non vult exponi | ne veut pas être exposé |
versibus tragicis ; | en vers tragiques ; |
item, coena Thyestae | de même, le repas de Thyeste |
indignatur narrari | s'indigne d'être raconté |
carminibus privatis | en vers familiers |
ac prope dignis socco. | et presque dignes du brodequin. |
Quaeque singula | Que tous les sujets, individuellement, |
teneant locum , | gardent leur place, |
sortita decenter. | l'ayant obtenue convenablement. |
Interdum tamen | Quelquefois, cependant, |
et comoedia tollit vocem, | même la comédie élève la voix, |
Chremesque iratas | et Chrémès irrité |
delitigat | gourmande son fils |
ore tumido ; | d'une bouche gonflée-par-la-colère; |
et plerumque | et bien-souvent aussi |
tragicus | l'acteur-tragique (la tragédie) |
dolet sermone pedestri ; | se plaint en un langage pédestre (simple): |
Telephus aut Peleus | Télèphe ou Pelée |