HORACE, ART POETIQUE, VERS 97 à 112
HORACE, ART POETIQUE, VERS 97 à 112
Projicit ampullas et sesquipedalia verba, |
tous les deux, rejettent bien loin l'emphase et la pompe des grands mots, s'ils tiennent à éveiller la sympathie des spectateurs. Ce n'est pas assez pour la poésie de charmer l'oreille : il faut qu'elle touche le coeur, qu'elle remue, qu'elle entraîne. Le rire et les larmes provoquent chez l'homme ou la joie, ou la tristesse. Voulez-vous me faire pleurer : montrez d'abord vous-même une douleur véritable; alors Télèphe, alors aussi, Pelée, je serai sensible à vos malheurs: mais si vous dites mal votre rôle, vous me ferez bâiller, ou rire. Il faut que les paroles soient, comme la physionomie, tristes dans l'affliction, menaçantes dans la colère, folâtres dans l'enjouement graves dans la sévérité. La nature, en effet, commence par nous donner le sentiment qui convient à chaque situation : elle nous porte à la joie, ou nous excite à la colère, ou bien elle nous courbe sous le poidsdu chagrin, et nous déchire le coeur ; ensuite, elle se sert de la parole, pour traduire les mouvements de notre âme. Si le ton du personnage n'est pas en harmonie avec sa position , nobles et plébéiens |
quum uterque | lorsque l'un-et-1'autre |
pauper et exsul, | est pauvre et exilé, |
projicit ampullas | rejette les paroles-ampoulées |
et verba sesquipedalia, | et les mots d'un-pied-et-demi (l'emphase), |
si curat tetigisse | s'il tient à émouvoir |
querela | par sa plainte |
cor spectantis. | le coeur du spectateur. |
Non est satis | Ce n'est pas assez |
poemata esse pulchra ; | que les poèmes soient beaux ; |
sunto dulcia, | il faut qu'ils soient touchants, |
et agunto | et qu'ils entraînent |
animum auditoris | l'âme de l'auditeur |
quocumque volent. | partout-où ils voudront. |
Ut vultus humani | De même que les visages humains |
arrident ridentibus, | rient à ceux qui rient, |
ita adflent flentibus. | de même ils pleurent à ceux qui pleurent. |
Si vis me flere, | Si tu veux que je pleure, |
est dolendum | une douleur-vraie-doit-être-exprimée |
tibi ipsi, primum : | par toi-même, d'abord : |
tunc, Telephe, vel Peleu, | alors, Télèphe, ou Pelée, |
tua infortunia laedent me; | tes infortunes affligeront moi ; |
si loqueris male | mais si tu dis mal |
mandata, | les choses qui le sont confiées (ton rôle), |
aut dormitabo, | ou je m'endormirai, |
aut ridebo. | ou je rirai de toi. |
Verba tristia | Des paroles tristes |
decent vultum moestum ; | conviennent à un visage chagrin ; |
plena minarum, | des paroles pleines de menaces, |
iratum ; | à un visage irrité ; |
lasciva, ludentem; | des paroles enjouées, à un visage riant ; |
seria dictu, | des choses sérieuses à dire, |
severum. | à un visage sévère. |
Natura enim | La nature, en effet, |
format nos intus prius | forme nous intérieurement d'abord |
ad omnem habitum | à toute manière-d'être-extérieure |
fortunarum : | des différentes fortunes : |
juvat, | elle nous réjouit, |
aut impellit ad iram, | ou elle nous pousse à la colère, |
aut deducit ad humum | ou elle nous abaisse vers la terre |
moerore gravi, | par le chagrin pesant, |
et angit ; | et elle nous tourmente ; |
post, effert | ensuite, elle exprime |
motus animi | les mouvements de notre âme |
lingua interprete. | avec la langue interprète. |
Si dicta | Si les choses dites |
erunt absona | sont en-désaccord |
fortunis | avec la fortune (la position) |